Tout à coup, les treillis se densifient tels les arbres d' une forêt ; l'obscurité tombe
Nous venons de traverser un entrelacs d'encorbellements et de voussures ; ils soutiennent la galerie du premier étage.
C'est avec soulagement que nous nous extirpons du dédale de ferraille.
A cinquante sept mètres du sol terrestre, tout devient plus simple , plus schématique, plus enfantin.
La plate forme du premier étage est un ville suspendue : café, brasserie, restaurant, salle d'exposition, cinéma, Rien ne manque : tout est vaste et confortable dans un espace aux contours délimités, en suspension au dessus de Paris . Je me suis arrêtée au bureau de poste...Sur la terrasse transformée en jardin, on sirote un café. Quelques marches en contrebas, on flâne à l'envie le long des galeries-promenade d'où on embrasse Paris d'un coup d'oeil.
On en oublie le vide ...
L'abîme ! Gulliver se penche sur Lilliput : quelques amuseurs publiques rassemblent autour d'eux des cercles de badauds concentriques et concentrés. De toutes petites figurines s'ébattent sans crainte, entre les pieds du colosse.
La porte de l'espace Gustave Eiffel, reste close. Elle est coiffée d'un arc qui s'illumine le soir et ne s'ouvre que pour accueillir séminaires et conférences de presse dans une atmosphère ouatée. La vue y est, parait-il imprenable
Sur la terrasse, inondé de soleil, se dresse un serpentin hélicoïdale, témoin résiduel des temps héroïques où Monsieur Eiffel en escaladait les degrés pour gagner son atelier céleste.. Un subtil défit au ciel : les marches étroites enlaçaient l'axe de la tour et l'ascensionniste se trouvait seul au monde perché dans le vide.
Dans les années quatre-vingt, après des décennies de bons et loyaux services,le petit escalier en colimaçon, jugé trop lourd et dangereux, a été démonté, débité en morceaux (deux tronçons de cet escalier sont également exposés aux musées d'Orsay et de la Villette) et vendu aux enchères aux quatre coins du monde
D'autres volées de marches, plus modestes mais tellement plus rassurantes, amorcent une montée du premier au second niveau. A l'arrière plan, une drôle de machine s'agite et attire indéfectiblement l'attention
L'engin multicolore qui émettait un ronronnement bi-phasé est le système hydraulique à eau original qui actionnait l'ascenseur desservant le troisième étage, à partir du deuxième niveau.
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L'accumulateur à eau ressemble à un attrayant jouet . Mais l'ingénieux système d'ascenseurs qui a désservi la tour depuis son origine, est toujours considéré comme une prouesse technique et fonctionne encore quelque part ailleurs, en son sein...
La Dame de Fer dont la raison d'être initiale se limitait à représenter le progrès du moment, ne devait vivre que le temps d'une fête...
Des asenseurs électriques Otis de petite taille, réservés à l'usage exclusif des clients du restaurant "Jules Verne" ont été installés dans le pilier Sud dans les années quatre-vingt. Ils assurent une liaison directe avec le deuxième étage. Mais sous mes yeux, des employés gagnent la cabine orange stationnée au premier niveau en tractant des chariots bondés On surprend au passage l'existence de quelques bouteilles de bon vin, de piles de serviettes de table, et d'appétissantes victuailles, qui proviennent de l'office, situé dans l'entresol, invisible pour le touriste, à cinquante-cinq mètres du sol.
La machine redémarre à destination du restaurant "Jules Verne".