L'éclat des marques de reconnaissance pléthoriques dispensées à Lafayette parviennent à nous figer sur place pendant un laps de temps qui parait une éternité. Quand on relève enfin les yeux sur les deux murs à angle droit qui encadrent la sépulture, on est saisis par une prolifération de plaques, d'apparence plus anonyme, qui y ont été fixées pour rappeler la mémoire de suppliciés, par milliers, qui reposent à proximité immédiate.
Comment ne pas remarquer, d'abord l' hommage discret mais de bon goût, réservé à André Chénier, vraisemblablement inhumé ici...Carrière diplomatique, puis retour à Paris où il s'enthousiasme d'abord pour les idées révolutionnaires, avant d'en dénoncer les excès. Ses tentatives pour sauver des amis en danger (dont le roi Louis XVI) lui valent une exécution sommaire.
L'un des deux pans de mur qui encadrent le monument Lafayette est interrompu par un portail, résolument clos, donnant sur un carré de jardin triste et désert, à peine parsemé de quelques marques funéraires.Un obélisque porte en son sommet les stigmates d'une année terrible : 1794.... La victoire du peuple sur la monarchie a été consommée, il est temps de régler ses comptes, de faire table rase des temps anciens et de tous ceux qui sont suspectés, peu ou prou, à tort ou à raison, d'avoir contribué à l'oppression des classes modestes. La Terreur bat son plein, climat délétère de suspicion, de délation, chacun rivalisant de zèle dans la besogne d'épuration, tenaillé par une sourde crainte de voir des soupçons peser sur lui. A trop vouloir en faire, Robespierre à son tour, paie de sa vie une escalade dans la violence, dont les excès deviennent difficilement contrôlables..
La place du Trône que Louis XIV et Marie Thérèse d'Autriche avaient empruntée pour faire leur entrée triomphale à Paris, désormais rebaptisée "Place du Trône Renversé" est le théâtre d'exécutions en série : ecclésiastiques, "ci-devants", politiquement suspects.... La guillotine ne fait jamais relâche.
Les mots se dérobent à la pensée... alors, SILENCE et recueillement s'efforcent de combler un sentiment de vide vertigineux : 1300 personnes reposent ici, dans l'anonymat.
Un panneau de marbre où sont dénombrés et répertoriés en lettres d'or les suppliciés, dont le laconisme ne parvient pas à mesurer l'horreur .
Une autre, plus modeste, à la mémoire d'une inoffensive religieuse, selon toute vraisemblance, cadette de famille ou jeune femme qui n'a pu trouver époux.
Me fallait il donc voir pour croire ... j'ai regagné la longue allée ombrée que le mur mitoyen sépare du carré des suppliciés. L'allée se termine par une petite porte de bois verrouillée qui limite les errances des voyageurs du temps.
Ou plutôt, elle forme une boucle qui mène au pied d'une porte que les charretiers chargés de monticules de corps mutilés, empruntent de nuit, à la sauvette, avant de terminer leur besogne et de garnir les deux fosses toutes proches (dont la localisation est alors tenue secrète), creusées dans le terrain conventuel.
Frappée par l'émotion autant que par la fatigue, je prends place sur le banc de pierre. Et mon imagination parvient à restituer facilement le sordide spectacle d'une nuit d'épouvante.
Non loin de la "porte des charretiers", deux bornes de pierre délimitent le périmètre d'une troisième fosse, heureusement non utilisée.
Une porte de pierre béante a miraculeusement survécu, contre vents et marées : c'est ce qui reste de la chapelle des Chanoinesses Augustines, réquisitionnée et transformée en bureaux, où les fossoyeurs s'employaient à trier les effets personnels des suppliciés.
Le calme a succédé à la tempête et les familles des suppliciés se sont retrouvées dans la plus grande discrétion ; elles se sont concertées pour tenter de retrouver les restes de leurs proches pour les honorer avec dignité. Après bien des tribulations, les proches endeuillés parviennent à racheter les terrains où séjournent leurs défunts.
La paix est revenue habiter les âmes.